- I
- Nina semblait perdue. Elle était déjà morte,
- Traînait, brûlait ses jours comme on fume un mégot,
- Nouait son avenir dans un maigre fagot
- Déposé dans la cave, et refermait la porte.
- Je l’aimais tellement que j’aurais fait en sorte
- De transformer sa vie en un rêve indigo
- Où nos cœurs vagabonds, fantômes inégaux,
- Se changeraient en fleur qu’un léger souffle emporte.
- « N’entre pas dans ma vie ! enfuis-toi loin de moi !
- Nous n’avons pas le droit à l’amour ou la joie,
- Ces rêves sont volés, ne nous mènent à rien… »
- « Oh Nina, s’il te plaît, reste un peu près de moi!
- Ton sourire et tes yeux me remplissent de joie
- Et si ton ombre au loin fuit ; je ne suis plus rien… »
II
- Nina ne s’attachait à rien ni à personne.
- Elle cachait profond des tonnes de secrets,
- Comme autant de tourments, de pleurs et de regrets
- Que masquaient ses yeux noirs, son regard de madone.
- Moi, j’attendais, nerveux, qu’elle me téléphone.
- Je sillonnais la rue en quête des arrêts
- De bus, des bancs au bord du canal. Je mourrais
- De peur jusqu’à revoir enfin la sauvageonne.
- « Je t’aime et je voudrais cesser de supplier,
- Sans quoi le froid, le vent, consumeront la flamme
- Qui me brûle et me lie à ton destin, Nina. »
- « Demain, je partirai. Tâche de m’oublier !
- Ma vie est un silence où se glisse le blâme
- Que rien ne peut sceller, pas même un hosanna ! »
III
- Nina, la nuit nous prend pour ses enfants cachés
- Et nous rejette au fond d’un long tunnel, un songe
- Qui nous lie au passé. Mais ce puissant mensonge
- Alourdi chaque instant le poids de nos pêchés.
- Oui, nous nous ressemblons ! Nous sommes écorchés,
- Livrés à la folie, à l’injure qui ronge
- Le creux de nos douleurs. Sans cesse elle prolonge
- Et garde nos poignets et nos cœurs attachés.
- J’errais aveugle et sourd dans ma désespérance
- Jusqu’à ce que ta main désserre le bandeau
- Et libère mes nuits de l’asservissement.
- Allongé près de toi, j’écoute le silence
- Installer entre nous de l’amour en cadeau
- (Cesse de respirer ! Savoure ce moment !).
IV
- Nina, j’aimais te voir au jardin de la ville,
- Quand les badauds pressés abandonnaient l’endroit,
- Laissant ton rire ardent, tout seul, plier le froid
- Qui commençait à poindre en soir d’hiver hostile.
- Là, nous jouions avec la candeur juvénile
- Qui sied aux innocents. En rêveur maladroit,
- Je te voyais la reine et moi j’étais le roi
- De ce modeste empire. Un beau pays… Une île !
- Bien avant que la nuit ne saisisse nos cœurs
- Et nous invite à fuir vers d’autres aventures
- Nous avions régné là, heureux et triomphants…
- Les bancs, c’était des chars qui nous portaient vainqueurs,
- Tirés par les buissons, magnifiques montures,
- Sous les énormes pins aux formes d’éléphants !
V
- Quand j’en viens à rêver de ton joli prénom
- Qui résonne en mon cœur et que ma bouche épelle,
- NImbant la sainte en ronds de lumière, j’appelle
- Le son des premiers mots chantonnés en canon.
- Je vois NAture au coin d’un petit cabanon
- Assailli par la vigne et son toit me rappelle
- Ces doux après-midi, tout près de la chapelle,
- Ton corsage entrouvert, tu bredouillais : « Non, non… »
- Fut-ce un rêve éveillé ? La saveur que j’en garde
- M’impose de tenir le vœu que j’avais fait :
- Voir briller le soleil chaque jour sur nos têtes.
- Lorsque le soir descend, ton regard brun s’attarde
- Et soigne mes douleurs par un baume parfait.
- Le temps est, de nouveau, propice à toutes fêtes …
VI
- Si mon cœur est blessé, c’est que je suis sensible
- Et que toujours je crains qu’ils ne te crucifient,
- Car leurs desseins sont noirs et tout les glorifient,
- Rien ne semble entamer leur volonté terrible !
- Nous avons tous besoin de nous croire invincible,
- Chercher à savoir ce que nos jours signifient
- Et les utiliser afin qu’ils modifient
- Et rendent notre espoir objectif et possible.
- Parfois je veux partir et revenir avant
- Que naisse le problème et qu’il ne me tourmente,
- Au point de ne pouvoir retenir un sanglot.
- C’est le prix que je paie à poursuivre souvent
- L’assassin de ton cœur. Mais sa ruse démente
- Ne t’entraînera pas vers ce sombre complot !
VII
- Nina, je te tenais comme Amour et nos mains
- Rayonnaient. Nos projets ignoraient tout le reste.
- Je nous revoie encore appliquer chaque geste
- A distraire nos yeux de futurs lendemains.
- Qu’en est-il aujourd’hui ? Fait-il courir ses mains
- Sur ta nuque endormie en désir manifeste ?
- Te rend-il plus sauvage ou tendre à la sieste ?
- Et qu’en est-il de moi, de mes chaos humains ?
- Le manque d’espace et le vibrant enthousiasme
- De nos esprits pressés, de nos chairs, n’ont pas vu
- Le bruit de battement de tambour de nos fièvres.
- Car moi je me gaspille à poursuivre un fantasme…
- Sois libre ou quitte-le ! Fais de ton mieux, pourvu
- Que la fin de mes jours ne s’accroche à tes lèvres !
VIII
- Tu t’endors sur un banc. Je sais, tu es brisé…
- Moi, je suis la photo que le silence estompe,
- Le fer arque bouté juste avant qu’il ne rompe,
- Tout cet amour que tu cesses de maîtriser.
- Parfois, je veux remplir l’espace agonisé,
- Ce qui te manque, tout ce qui te perd, te trompe,
- Avant que ton esprit, ta raison se corrompe
- Et que ton cœur se blesse et s’endorme épuisé.
- Lorsque l’on s’est tout dit, je languis ta parole
- Lorsque je t’ai perdu, j’espère ton retour
- Comme un remord soudain qui se fixe, fugace.
- Mais ce vieux souvenir se trouble puis s’envole,
- Je referme la porte et j’en perds le contour
- C’est un reste d’amour qui doucement s’efface...